基督山伯爵中法對照54(法)
Chapitre XLIV
La Vendetta
« D'où monsieur le comte désire-t-il que je reprenne les choses ? demanda Bertuccio.
- Mais d'où vous voudrez, dit Monte-Cristo, puisque je ne sais absolument rien.
- Je croyais cependant que M. l'abbé Busoni avait dit à Votre Excellence...
- Oui, quelques détails sans doute, mais sept ou huit ans ont passé là-dessus, et j'ai oublié tout cela.
- Alors je puis donc, sans crainte d'ennuyer Votre Excellence...
- Allez, monsieur Bertuccio, allez, vous me tiendrez lieu de journal du soir.
- Les choses remontent à 1815.
- Ah ! ah ! fit Monte-Cristo, ce n'est pas hier, 1815.
- Non, monsieur, et cependant les moindres détails me sont aussi présents à la mémoire que si nous étions seulement au lendemain. J'avais un frère, un frère aîné, qui était au service de l'Empereur. Il était devenu lieutenant dans un régiment composé entièrement de Corses. Ce frère était mon unique ami ; nous étions restés orphelins, moi à cinq ans, lui à dix-huit ; il m'avait élevé comme si j'eusse été son fils. En 1814, sous les Bourbons, il s'était marié ; l'Empereur revint de l'Ile d'Elbe, mon frère reprit aussitôt du service, et, blessé légèrement à Waterloo, il se retira avec l'armée derrière la Loire.
- Mais c'est l'histoire des Cent-Jours que vous me faites là, monsieur Bertuccio, dit le comte, et elle est déjà faite, si je ne me trompe.
- Excusez-moi, Excellence, mais ces premiers détails sont nécessaires, et vous m'avez promis d'être patient.
- Allez ! allez ! je n'ai qu'une parole.
- Un jour, nous reçûmes une lettre ; il faut vous dire que nous habitions le petit village de Rogliano, à l'extrémité du cap Corse : cette lettre était de mon frère ; il nous disait que l'armée était licenciée et qu'il revenait par Châteauroux, Clermont-Ferrand, Le Puy et Nîmes si j'avais quelque argent, il me priait de le lui faire tenir à Nîmes chez un aubergiste de notre connaissance, avec lequel j'avais quelques relations.
- De contrebande, reprit Monte-Cristo.
- Eh ! mon Dieu ! monsieur le comte, il faut bien vivre.
- Certainement ; continuez donc.
- J'aimais tendrement mon frère, je vous l'ai dit, Excellence ; aussi je résolus non pas de lui envoyer l'argent, mais de le lui porter moi-même. Je possédais un millier de francs, j'en laissai cinq cents à Assunta, c'était ma belle-soeur ; je pris les cinq cents autres, et je me mis en route pour Nîmes. C'était chose facile, j'avais ma barque, un chargement à faire en mer ; tout secondait mon projet. Mais le chargement fait, le vent devint contraire, de sorte que nous fûmes quatre ou cinq jours sans pouvoir entrer dans le Rhône. Enfin nous y parvînmes ; nous remontâmes jusqu'à Arles ; je laissai la barque entre Bellegarde et Beaucaire, et je pris le chemin de Nîmes.
- Nous arrivons, n'est-ce pas ?
- Oui, monsieur : excusez-moi, mais, comme Votre Excellence le verra, je ne lui dis que les choses absolument nécessaires. Or, c'était le moment où avaient lieu les fameux massacres du Midi. Il y avait là deux ou trois brigands que l'on appelait Trestaillon, Truphemy et Graffan, qui égorgeaient dans les rues tous ceux qu'on soupçonnait de bonapartisme. Sans doute, monsieur le comte a entendu parler de ces assassinats ?
- Vaguement, j'étais fort loin de la France à cette époque. Continuez.
- En entrant à Nîmes, on marchait littéralement dans le sang ; à chaque pas on rencontrait des cadavres : les assassins, organisés par bandes, tuaient, pillaient et brûlaient.
« A la vue de ce carnage, un frisson me prit, non pas pour moi ; moi, simple pêcheur corse, je n'avais pas grand-chose à craindre ; au contraire, ce temps-là c'était notre bon temps, à nous autres contrebandiers, mais pour mon frère, pour mon frère soldat de l'Empire, revenant de l'armée de la Loire avec son uniforme et ses épaulettes, et qui, par conséquent, avait tout à craindre.
« Je courus chez notre aubergiste. Mes pressentiments ne m'avaient pas trompé : mon frère était arrivé la veille à Nîmes, et à la porte même de celui à qui il venait demander l'hospitalité, il avait été assassiné.
« Je fis tout au monde pour connaître les meurtriers ; mais personne n'osa me dire leurs noms, tant ils étaient redoutés. Je songeai alors à cette justice française, dont on m'avait tant parlé, qui ne redoute rien, elle, et je me présentai chez le procureur du roi.
- Et ce procureur du roi se nommait Villefort ? demanda négligemment Monte-Cristo.
- Oui, Excellence : il venait de Marseille, où il avait été substitut. Son zèle lui avait valu de l'avancement. Il était un des premiers, disait-on, qui eussent annoncé au gouvernement le débarquement de l'île d'Elbe.
- Donc, reprit Monte-Cristo, vous vous présentâtes chez lui.
« - Monsieur, lui dis-je, mon frère a été assassiné hier dans les rues de Nîmes, je ne sais point par qui, mais c'est votre mission de le savoir. Vous êtes ici chef de la justice de venger ceux qu'elle n'a pas su défendre.
« - Et qu'était votre frère ? demanda le procureur du roi.
« - Lieutenant au bataillon corse.
« - Un soldat de l'usurpateur, alors ?
« - Un soldat des armées françaises.
« - Eh bien, répliqua-t-il, il s'est servi de l'épée et il a péri par l'épée.
« - Vous vous trompez, monsieur ; il a péri par le poignard.
« - Que voulez-vous que j'y fasse ? répondit le magistrat.
« - Mais je vous l'ai dit : je veux que vous le vengiez.
« - Et de qui ?
« - De ses assassins.
« - Est-ce que je les connais, moi ?
« - Faites-les chercher.
« - Pour quoi faire ? Votre frère aura eu quelque querelle et se sera battu en duel. Tous ces anciens soldats se portent à des excès qui leur réussissaient sous l'Empire, mais qui tournent mal pour eux maintenant ; or, nos gens du Midi n'aiment ni les soldats, ni les excès.
« - Monsieur, repris-je, ce n'est pas pour moi que je vous prie. Moi, je pleurerai ou je me vengerai, voilà tout ; mais mon pauvre frère avait une femme. S'il m'arrivait malheur à mon tour, cette pauvre créature mourrait de faim, car le travail seul de mon frère la faisait vivre. Obtenez pour elle une petite pension du gouvernement.
« - Chaque révolution a ses catastrophes, répondit M. de Villefort ; votre frère a été victime de celle-ci, c'est un malheur, et le gouvernement ne doit rien à votre famille pour cela. Si nous avions à juger toutes les vengeances que les partisans de l'usurpateur ont exercées sur les partisans du roi quand à leur tour ils disposaient du pouvoir, votre frère serait peut-être aujourd'hui condamné à mort. Ce qui s'accomplit est chose toute naturelle, car c'est la loi des représailles.
« - Eh quoi ! monsieur, m'écriai-je, il est possible que vous me parliez ainsi, vous, un magistrat !...
« - Tous ces Corses sont fous, ma parole d'honneur ! répondit M. de Villefort, et ils croient encore que leur compatriote est empereur. Vous vous trompez de temps, mon cher ; il fallait venir me dire cela il y a deux mois. Aujourd'hui il est trop tard ; allez-vous-en donc, et si vous ne vous en allez pas, moi, je vais vous faire reconduire. »
« Je le regardai un instant pour voir si par une nouvelle supplication il y avait quelque chose à espérer. Cet homme était de pierre. Je m'approchai de lui :
« - Eh bien, lui dis-je à demi-voix, puisque vous connaissez les Corses, vous devez savoir comment ils tiennent leur parole. Vous trouvez qu'on a bien fait de tuer mon frère qui était bonapartiste, parce que vous êtes royaliste, vous ; eh bien, moi, qui suis bonapartiste aussi, je vous déclare une chose : c'est que je vous tuerai, vous. A partir de ce moment je vous déclare la vendetta ; ainsi, tenez-vous bien, et gardez-vous de votre mieux ; car la première fois que nous nous trouverons face à face, c'est que votre dernière heure sera venue. »
« Et là-dessus, avant qu'il fût revenu de sa surprise, j'ouvris la porte et je m'enfuis.
- Ah ! ah ! dit Monte-Cristo, avec votre honnête figure, vous faites de ces choses-là, monsieur Bertuccio, et à un procureur du roi, encore ! Fi donc ! et savait-il au moins ce que cela voulait dire ce mot vendetta ?
Il le savait si bien qu'à partir de ce moment il ne sortit plus seul et se calfeutra chez lui, me faisant chercher partout. Heureusement j'étais si bien caché qu'il ne put me trouver. Alors la peur le prit ; il trembla de rester plus longtemps à Nîmes ; il sollicita son changement de résidence, et, comme c'était en effet un homme influent, il fut nommé à Versailles ; mais, vous le savez, il n'y a pas de distance pour un Corse qui a juré de se venger de son ennemi, et sa voiture, si bien menée qu'elle fût, n'a jamais eu plus d'une demi-journée d'avance sur moi, qui cependant la suivis à pied.
« L'important n'était pas de le tuer, cent fois j'en avais trouvé l'occasion ; mais il fallait le tuer sans être découvert et surtout sans être arrêté. Désormais je ne m'appartenais plus : j'avais à protéger et à nourrir ma belle-soeur. Pendant trois mois je guettai M. de Villefort ; pendant trois mois il ne fit pas un pas, une démarche, une promenade, que mon regard ne le suivît là où il allait. Enfin, je découvris qu'il venait mystérieusement à Auteuil : je le suivis encore et je le vis entrer dans cette maison où nous sommes ; seulement, au lieu d'entrer comme tout le monde par la grande porte de la rue, il venait soit à cheval, soit en voiture laissait voiture et cheval à l'auberge, et entrait par cette petite porte que vous voyez là. »
Monte-Cristo fit de la tête un signe qui prouvait qu'au milieu de l'obscurité il distinguait en effet l'entrée indiquée par Bertuccio.
« Je n'avais plus besoin de rester à Versailles, je me fixai à Auteuil et je m'informai. Si je voulais le prendre, c'était évidemment là qu'il me fallait tendre mon piège.
« La maison appartenait, comme le concierge l'a dit à Votre Excellence, à M. de Saint-Méran, beau-père de Villefort. M. de Saint-Méran habitait Marseille ; par conséquent, cette campagne lui était inutile ; aussi disait-on qu'il venait de la louer à une jeune veuve que l'on ne connaissait que sous le nom de la baronne.
« En effet, un soir, en regardant par-dessus le mur, je vis une femme jeune et belle qui se promenait seule dans ce jardin, que nulle fenêtre étrangère ne dominait ; elle regardait fréquemment du côté de la petite porte, et je compris que ce soir-là elle attendait M. de Villefort. Lorsqu'elle fut assez près de moi pour que malgré l'obscurité je pusse distinguer ses traits, je vis une belle jeune femme de dix-huit à dix-neuf ans, grande et blonde. Comme elle était en simple peignoir et que rien ne gênait sa taille, je pus remarquer qu'elle était enceinte et que sa grossesse même paraissait avancée.
« Quelques moments après, on ouvrit la petite porte ; un homme entra ; la jeune femme courut le plus vite qu'elle put à sa rencontre ; ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, s'embrassèrent tendrement et regagnèrent ensemble la maison.
« Cet homme, c'était M. de Villefort. Je jugeai qu'en sortant, surtout s'il sortait la nuit, il devait traverser seul le jardin dans toute sa longueur.
- Et demanda le comte, avez-vous su depuis le nom de cette femme ?
- Non, Excellence, répondit Bertuccio ; vous allez voir que je n'eus pas le temps de l'apprendre.
- Continuez.
- Ce soir-là, reprit Bertuccio, j'aurais pu tuer peut-être le procureur du roi ; mais je ne connaissais pas encore assez le jardin dans tous ses détails. Je craignis de ne pas le tuer raide, et, si quelqu'un accourait à ses cris, de ne pouvoir fuir. Je remis la partie au prochain rendez-vous, et, pour que rien ne m'échappât, je pris une petite chambre donnant sur la rue que longeait le mur du jardin.
« Trois jours après, vers sept heures du soir, je vis sortir de la maison un domestique à cheval qui prit au galop le chemin qui conduisait à la route de Sèvres ; je présumai qu'il allait à Versailles. Je ne me trompais pas. Trois heures après, l'homme revint tout couvert de poussière ; son message était terminé.
« Dix minutes après, un autre homme à pied, enveloppé d'un manteau, ouvrit la petite porte du jardin, qui se referma sur lui.
« Je descendis rapidement. Quoique je n'eusse pas vu le visage de Villefort, je le reconnus au battement de mon coeur : je traversai la rue, je gagnai une borne placée à l'angle du mur et à l'aide de laquelle j'avais regardé une première fois dans le jardin.
« Cette fois je ne me contentai pas de regarder, je tirai mon couteau de ma poche, je m'assurai que la pointe était bien affilée, et je sautai par-dessus le mur.
« Mon premier soin fut de courir à la porte ; il avait laissé la clef en dedans, en prenant la simple précaution de donner un double tour à la serrure.
« Rien n'entravait donc ma fuite de ce côté-là. Je me mis à étudier les localités. Le jardin formait un carré long, une pelouse de fin gazon anglais s'étendait au
milieu, aux angles de cette pelouse étaient des massifs d'arbres au feuillage touffu et tout entremêlé de fleurs d'automne.
« Pour se rendre de la maison à la petite porte, ou de la petite porte à la maison, soit qu'il entrât, soit qu'il sortit, M. de Villefort était obligé de passer près d'un de ces massifs.
« On était à la fin de septembre ; le vent soufflait, soufflait avec force ; un peu de lune pâle, et voilée à chaque instant par de gros nuages qui glissaient rapidement au ciel, blanchissait le sable des allées qui conduisaient à la maison, mais ne pouvait percer l'obscurité de ces massifs touffus dans lesquels un homme pouvait demeurer caché sans qu'il y eût crainte qu'on ne l'aperçût.
« Je me cachai dans celui le plus près duquel devait passer Villefort ; à peine y étais-je, qu'au milieu des bouffées de vent qui courbaient les arbres au-dessus de mon front, je crus distinguer comme des gémissements. Mais vous savez, ou plutôt vous ne savez pas, monsieur le comte, que celui qui attend le moment de commettre un assassinat croit toujours entendre pousser des cris sourds dans l'air. Deux heures s'écoulèrent pendant lesquelles, à plusieurs reprises, je crus entendre les mêmes gémissements. Minuit sonna.
« Comme le dernier son vibrait encore lugubre et retentissant, j'aperçus une lueur illuminant les fenêtres de l'escalier dérobé par lequel nous sommes descendus tout à l'heure.
« La porte s'ouvrit, et l'homme au manteau reparut. C'était le moment terrible ; mais depuis si longtemps je m'étais préparé à ce moment, que rien en moi ne faiblit : je tirai mon couteau, je l'ouvris et je me tins prêt.
« L'homme au manteau vint droit à moi ; mais à mesure qu'il avançait dans l'espace découvert, je croyais remarquer qu'il tenait une arme de la main droite : j'eus peur, non pas d'une lutte, mais d'un insuccès. Lorsqu'il fut à quelques pas de moi seulement, je reconnus que ce que j'avais pris pour une arme n'était rien autre chose qu'une bêche.
« Je n'avais pas encore pu deviner dans quel but M. de Villefort tenait une bêche à la main, lorsqu'il s'arrêta sur la lisière du massif, jeta un regard autour de lui, et se mit à creuser un trou dans la terre. Ce fut alors que je m'aperçus qu'il y avait quelque chose dans son manteau, qu'il venait de déposer sur la pelouse pour être libre de ses mouvements.
« Alors, je l'avoue, un peu de curiosité se glissa dans ma haine : je voulus voir ce que venait faire là Villefort ; je restai immobile, sans haleine ; j'attendis.
« Puis une idée m'était venue, qui se confirma en voyant le procureur du roi tirer de son manteau un petit coffre long de deux pieds et large de six à huit pouces.
« Je le laissai déposer le coffre dans le trou, sur lequel il repoussa la terre ; puis, sur cette terre fraîche, il appuya ses pieds pour faire disparaître la trace de l'oeuvre nocturne. Je m'élançai alors sur lui et je lui enfonçai mon couteau dans la poitrine en lui disant :
« - Je suis Giovanni Bertuccio ! ta mort pour mon frère, ton trésor pour sa veuve : tu vois bien que ma vengeance est plus complète que je ne l'espérais. »
« Je ne sais s'il entendit ces paroles ; je ne le crois pas, car il tomba sans pousser un cri ; je sentis les flots de son sang rejaillir brûlants sur mes mains et sur mon visage ; mais j'étais ivre, j'étais en délire ; ce sang me rafraîchissait au lieu de me brûler. En une seconde, j'eus déterré le coffret à l'aide de la bêche ; puis, pour qu'on ne vît pas que je l'avais enlevé, je comblai à mon tour le trou, je jetai la bêche par-dessus le mur, je m'élançai par la porte, que je fermai à double tour en dehors et dont j'emportai la clef.
- Bon ! dit Monte-Cristo, c'était, à ce que je vois, un petit assassinat doublé de vol.
- Non, Excellence, répondit Bertuccio, c'était une vendetta suivie de restitution.
- Et la somme était ronde, au moins ?
- Ce n'était pas de l'argent.
- Ah ! oui, je me rappelle, dit Monte-Cristo ; n'avez-vous pas parlé d'un enfant ?
- Justement, Excellence. Je courus jusqu'à la rivière, je m'assis sur le talus, et, pressé de savoir ce que contenait le coffre, je fis sauter la serrure avec mon couteau.
« Dans un lange de fine batiste était enveloppé un enfant qui venait de naître ; son visage empourpré, ses mains violettes annonçaient qu'il avait dû succomber à une asphyxie causée par des ligaments naturels roulés autour de son cou ; cependant ; comme il n'était pas froid encore, j'hésitai à le jeter dans cette eau qui coulait à mes pieds. En effet, au bout d'un instant je crus sentir un léger battement vers la région du coeur ; je dégageai son cou du cordon qui l'enveloppait, et, comme j'avais été infirmier à l'hôpital de Bastia, je fis ce qu'aurait pu faire un médecin en pareille circonstance ; c'est-à-dire que je lui insufflai courageusement de l'air dans les poumons, qu'après un quart d'heure d'efforts inouïs je le vis respirer, et j'entendis un cri s'échapper de sa poitrine.
« A mon tour, je jetai un cri, mais un cri de joie. Dieu ne me maudit donc pas, me dis-je, puisqu'il permet que je rende la vie à une créature humaine en échange de la vie que j'ai ôtée à une autre ! »
- Et que fîtes-vous donc de cet enfant ? demanda Monte-Cristo ; c'était un bagage assez embarrassant pour un homme qui avait besoin de fuir.
- Aussi n'eus-je point un instant l'idée de le garder. Mais je savais qu'il existait à Paris un hospice où on reçoit ces pauvres créatures. En passant à la barrière, je déclarai avoir trouvé cet enfant sur la route, et je m'informai. Le coffre était là qui faisait foi ; les langes de batiste indiquaient que l'enfant appartenait à des parents riches ; le sang dont j'étais couvert pouvait aussi bien appartenir à l'enfant qu'à tout autre individu. On ne me fit aucune objection ; on m'indiqua l'hospice, qui était situé tout au bout de la rue d'Enfer, et, après avoir pris la précaution de couper le lange en deux, de manière qu'une des deux lettres qui le marquaient continuât d'envelopper le corps de l'enfant, je déposai mon fardeau dans le tour, je sonnai et je m'enfuis à toutes jambes. Quinze jours après, j'étais de retour à Rogliano, et je disais à Assunta :
« - Console-toi, ma soeur ; Isral est mort, mais je l'ai vengé. »
« Alors elle me demanda l'explication de ces paroles, et je lui racontai tout ce qui s'était passé.
« - Giovanni, me dit Assunta, tu aurais dû rapporter cet enfant, nous lui eussions tenu lieu des parents qu'il a perdus, nous l'eussions appelé Benedetto, et en faveur de cette bonne action Dieu nous eût bénis effectivement. »
« Pour toute réponse je lui donnai la moitié de lange que j'avais conservée, afin de faire réclamer l'enfant si nous étions plus riches.
- Et de quelles lettres était marqué ce lange ? demanda Monte-Cristo.
- D'un H et d'un N surmontés d'un tortil de baron.
- Je crois, Dieu me pardonne ! que vous vous servez de termes de blason, monsieur Bertuccio ! Où diable avez-vous fait vos études héraldiques ?
- A votre service, monsieur le comte, où l'on apprend toutes choses.
- Continuez, je suis curieux de savoir deux choses.
- Lesquelles, monseigneur ?
- Ce que devint ce petit garçon ; ne m'avez-vous pas dit que c'était un petit garçon, monsieur Bertuccio ?
- Non, Excellence ; je ne me rappelle pas avoir parlé de cela.
- Ah ! je croyais avoir entendu, je me serai trompé.
- Non, vous ne vous êtes pas trompé ; car c'était effectivement un petit garçon ; mais Votre Excellence désirait, disait-elle, savoir deux choses : quelle est la seconde ?
- La seconde était le crime dont vous étiez accusé quand vous demandâtes un confesseur, et que l'abbé Busoni alla vous trouver sur cette demande dans la prison de Nîmes.
- Peut-être ce récit sera-t-il bien long, Excellence.
- Qu'importe ? il est dix heures à peine, vous savez que je ne dors pas, et je suppose que de votre côté vous n'avez pas grande envie de dormir. »
Bertuccio s'inclina et reprit sa narration.
« Moitié pour chasser les souvenirs qui m'assiégeaient, moitié pour subvenir aux besoins de la pauvre veuve, je me remis avec ardeur à ce métier de contrebandier, devenu plus facile par le relâchement des lois qui suit toujours les révolutions. Les côtes du Midi, surtout, étaient mal gardées, à cause des émeutes éternelles qui avaient lieu, tantôt à Avignon, tantôt à Nîmes, tantôt à Uzès. Nous profitâmes de cette espèce de trêve qui nous était accordée par le gouvernement pour lier des relations avec tout le littoral. Depuis l'assassinat de mon frère dans les rues de Nîmes, je n'avais pas voulu rentrer dans cette ville. Il en résulta que l'aubergiste avec lequel nous faisions des affaires, voyant que nous ne voulions plus venir à lui, était venu à nous et avait fondé une succursale de son auberge sur la route de Bellegarde à Beaucaire, à l'enseigne du Pont du Gard. Nous avions ainsi, soit du côté d'Aigues-Mortes, soit aux Martigues, soit à Bouc, une douzaine d'entrepôts où nous déposions nos marchandises et où, au besoin, nous trouvions un refuge contre les douaniers et les gendarmes. C'est un métier qui rapporte beaucoup que celui de contrebandier, lorsqu'on y applique une certaine intelligence secondée par quelque vigueur ; quant à moi, je vivais dans les montagnes ayant maintenant une double raison de craindre gendarmes et douaniers, attendu que toute comparution devant les juges pouvait amener une enquête, que cette enquête est toujours une excursion dans le passé, et que dans mon passé, à moi, on pouvait rencontrer maintenant quelque chose plus grave que des cigares entrés en contrebande ou des barils d'eau-de-vie circulant sans laissez-passer. Aussi, préférant mille fois la mort à une arrestation, j'accomplissais des choses étonnantes, et qui, plus d'une fois, me donnèrent cette preuve, que le trop grand soin que nous prenons de notre corps est à peu près le seul obstacle à la réussite de ceux de nos projets qui ont besoin d'une décision rapide et d'une exécution vigoureuse et déterminée. En effet, une fois qu'on a fait le sacrifice de sa vie, on n'est plus l'égal des autres hommes, ou plutôt les autres hommes ne sont plus vos égaux, et quiconque a pris cette résolution sent, à l'instant même, décupler ses forces et s'agrandir son horizon.
- De la philosophie, monsieur Bertuccio ! interrompit le comte ; mais vous avez donc fait un peu de tout dans votre vie ?
- Oh ! pardon, Excellence !
- Non ! non ! c'est que la philosophie à dix heures et demie du soir, c'est un peu tard. Mais je n'ai pas d'autre observation à faire, attendu que je la trouve exacte, ce qu'on ne peut pas dire de toutes les philosophies.
- Mes courses devinrent donc de plus en plus étendues, de plus en plus fructueuses. Assunta était ménagère, et notre petite fortune s'arrondissait. Un jour que je partais pour une course :
« - Va, dit-elle, et à ton retour je te ménage une surprise. »
« Je l'interrogeais inutilement : elle ne voulut rien me dire et je partis.
« La course dura près de six semaines ; nous avions été à Lucques charger de l'huile, et à Livourne prendre des cotons anglais ; notre débarquement se fit sans événement contraire, nous réalisâmes nos bénéfices et nous revînmes tout joyeux.
« En rentrant dans la maison, la première chose que je vis à l'endroit le plus apparent de la chambre d'Assunta, dans un berceau somptueux relativement au reste de l'appartement, fut un enfant de sept à huit mois. Je jetai un cri de joie. Les seuls moments de tristesse que j'eusse éprouvés depuis l'assassinat du
procureur du roi m'avaient été causés par l'abandon de cet enfant. Il va sans dire que de remords de l'assassinat lui-même je n'en avais point eu.
« La pauvre Assunta avait tout deviné : elle avait profité de mon absence, et, munie de la moitié du lange, ayant inscrit, pour ne point l'oublier, le jour et l'heure précis où l'enfant avait été déposé à l'hospice, elle était partie pour Paris et avait été elle-même le réclamer. Aucune objection ne lui avait été faite, et l'enfant lui avait été remis.
« Ah ! j'avoue, monsieur le comte, qu'en voyant cette pauvre créature dormant dans son berceau, ma poitrine se gonfla, et que des larmes sortirent de mes yeux.
« - En vérité, Assunta, m'écriai-je, tu es une digne femme, et la Providence te bénira. »
- Ceci, dit Monte-Cristo, est moins exact que votre philosophie ; il est vrai que ce n'est que la foi.
- Hélas ! Excellence, reprit Bertuccio, vous avez bien raison, et ce fut cet enfant lui-même que Dieu chargea de ma punition. Jamais nature plus perverse ne se déclara plus prématurément, et cependant on ne dira pas qu'il fut mal élevé, car ma soeur le traitait comme le fils d'un prince ; c'était un garçon d'une figure charmante, avec des yeux d'un bleu clair comme ces tons de faïences chinoises qui s'harmonisent si bien avec le blanc laiteux du ton général ; seulement ses cheveux d'un blond trop vif donnaient à sa figure un caractère étrange, qui doublait la vivacité de son regard et la malice de son sourire. Malheureusement il y a un proverbe qui dit que le roux est tout bon ou tout mauvais ; le proverbe ne mentit pas pour Benedetto, et dès sa jeunesse il se montra tout mauvais. Il est vrai aussi que la douceur de sa mère encouragea ses premiers penchants ; l'enfant, pour qui ma pauvre soeur allait au marché de la ville, située à quatre ou cinq lieues de là, acheter les premiers fruits et les sucreries les plus délicates, préférait aux oranges de Palma et aux conserves de Gênes les châtaignes volées au voisin
en franchissant les haies, ou les pommes séchées dans son grenier, tandis qu'il avait à sa disposition les châtaignes et les pommes de notre verger.
« Un jour, Benedetto pouvait avoir cinq ou six ans, le voisin Wasilio, qui, selon les habitudes de notre pays, n'enfermait ni sa bourse ni ses bijoux, car, monsieur le comte le sait aussi bien que personne, en Corse il n'y a pas de voleurs, le voisin Wasilio se plaignit à nous qu'un louis avait disparu de sa bourse ; on crut qu'il avait mal compté, mais lui prétendait être sûr de son fait. Ce jour-là Benedetto avait quitté la maison dès le matin, et c'était une grande inquiétude chez nous, lorsque le soir nous le vîmes revenir traînant un singe qu'il avait trouvé, disait-il, tout enchaîné au pied d'un arbre.
« Depuis un mois la passion du méchant enfant, qui ne savait quelle chose s'imaginer, était d'avoir un singe. Un bateleur qui était passé à Rogliano, et qui avait plusieurs de ces animaux dont les exercices l'avaient fort réjoui, lui avait inspiré sans doute cette malheureuse fantaisie.
« - On ne trouve pas de singe dans nos bois, lui dis-je, et surtout de singe enchaîné ; avoue-moi donc comment tu t'es procuré celui-ci. »
« Benedetto soutint son mensonge, et l'accompagna de détails qui faisaient plus d'honneur à son imagination qu'à sa véracité ; je m'irritai, il se mit à rire ; je le menaçai, il fit deux pas en arrière.
« - Tu ne peux pas me battre, dit-il, tu n'en as pas le droit, tu n'es pas mon père. »
« Nous ignorâmes toujours qui lui avait révélé ce fatal secret, que nous lui avions caché cependant avec tant de soin ; quoi qu'il en soit, cette réponse, dans laquelle l'enfant se révéla tout entier, m'épouvanta presque, mon bras levé retomba effectivement sans toucher le coupable ; l'enfant triompha, et cette victoire lui donna une telle audace qu'à partir de ce moment tout l'argent d'Assunta, dont l'amour semblait augmenter pour lui à mesure qu'il en était moins digne, passa en caprices qu'elle ne savait pas combattre, en folies qu'elle n'avait pas le courage d'empêcher. Quand j'étais à Rogliano, les choses marchaient encore assez convenablement ; mais dès que j'étais parti, c'était Benedetto qui était devenu le maître de la maison, et tout tournait à mal. 5gé de onze ans à peine, tous ses camarades étaient choisis parmi des jeunes gens de dix-huit ou vingt ans, les plus mauvais sujets de Bastia et de Corte, et déjà, pour quelques espiègleries qui méritaient un nom plus sérieux, la justice nous avait donné des avertissements.
« Je fus effrayé ; toute information pouvait avoir des suites funestes : j'allais justement être forcé de m'éloigner de la Corse pour une expédition importante. Je réfléchis longtemps, et, dans le pressentiment d'éviter quelque malheur, je me décidai à emmener Benedetto avec moi. J'espérais que la vie active et rude de contrebandier, la discipline sévère du bord, changeraient ce caractère prêt à se corrompre, s'il n'était pas déjà affreusement corrompu.
« Je tirai donc Benedetto à part et lui fis la proposition de me suivre, en entourant cette proposition de toutes les promesses qui peuvent séduire un enfant de douze ans.
« Il me laissa aller jusqu'au bout, et lorsque j'eus finis, éclatant de rire :
« - Etes-vous fou, mon oncle ? » dit-il il m'appelait ainsi quand il était de belle humeur ; « moi changer la vie que je mène contre celle que vous menez, ma bonne et excellente paresse contre l'horrible travail que vous vous êtes imposé ! passer la nuit au froid, le jour au chaud ; se cacher sans cesse ; quand on se montre recevoir des coups de fusil, et tout cela pour gagner un peu d'argent ! L'argent, j'en ai tant que j'en veux ! mère Assunta m'en donne quand je lui en demande. Vous voyez donc bien que je serais un imbécile si j'acceptais ce que vous me proposez. »
« J'étais stupéfait de cette audace et de ce raisonnement. Benedetto retourna jouer avec ses camarades, et je le vis de loin me montrant à eux comme un idiot.
- Charmant enfant ! murmura Monte-Cristo.
- Oh ! s'il eût été à moi, répondit Bertuccio, s'il eût été mon fils, ou tout au moins mon neveu, je l'eusse bien ramené au droit sentier, car la conscience donne la force. Mais l'idée que j'allais battre un enfant dont j'avais tué le père me rendait toute correction impossible. Je donnai de bons conseils à ma soeur, qui, dans nos discussions, prenait sans cesse la défense du petit malheureux, et comme elle m'avoua que plusieurs fois des sommes assez considérables lui avaient manqué, je lui indiquai un endroit où elle pouvait cacher notre petit trésor. Quant à moi, ma résolution était prise. Benedetto savait parfaitement lire, écrire et compter, car lorsqu'il voulait s'adonner par hasard au travail, il apprenait en un jour ce que les autres apprenaient en une semaine. Ma résolution, dis-je, était prise ; je devais l'engager comme secrétaire sur quelque navire au long cours, et, sans le prévenir de rien, le faire prendre un beau matin et le faire transporter à bord ; de cette façon, et en le recommandant au capitaine, tout son avenir dépendait de lui. Ce plan arrêté, je partis pour la France.
« Toutes nos opérations devaient cette fois s'exécuter dans le golfe du Lion, et ces opérations devenaient de plus en plus difficiles, car nous étions en 1829. La tranquillité était parfaitement rétablie, et par conséquent le service des côtes était redevenu plus régulier et plus sévère que jamais. Cette surveillance était encore augmentée momentanément par la foire de Beaucaire, qui venait de s'ouvrir.
« Les commencements de notre expédition s'exécutèrent sans encombre. Nous amarrâmes notre barque, qui avait un double fond dans lequel nous cachions nos marchandises de contrebande, au milieu d'une quantité de bateaux qui bordaient les deux rives du Rhône, depuis Beaucaire jusqu'à Arles. Arrivés là, nous commençâmes à décharger nuitamment nos marchandises prohibées, et à les faire passer dans la ville par l'intermédiaire des gens qui étaient en relations avec nous, ou des aubergistes chez lesquels nous faisions des dépôts. Soit que la réussite nous eût rendus imprudents, soit que nous ayons été trahis, un soir, vers les cinq heures de l'après-midi, comme nous allions nous mettre à goûter, notre petit mousse accourut tout effaré en disant qu'il avait vu une escouade de douaniers se diriger de notre côté. Ce n'était pas précisément l'escouade qui nous effrayait : à chaque instant, surtout dans ce moment-là, des compagnies entières rôdaient sur les bords du Rhône ; mais c'étaient les précautions qu'au dire de l'enfant cette escouade prenait pour ne pas être vue. En un instant nous fûmes sur pied, mais il était déjà trop tard ; notre barque évidemment l'objet des recherches, était entourée. Parmi les douaniers, je remarquai quelques gendarmes ; et, aussi timide à la vue de ceux-ci que j'étais brave ordinairement à la vue de tout autre corps militaire, je descendis dans la cale, et, me glissant par un sabord, je me laissai couler dans le fleuve, puis je nageai entre deux eaux, ne respirant qu'à de longs intervalles, si bien que je gagnai sans être vu une tranchée que l'on venait de faire, et qui communiquait du Rhône au canal qui se rend de Beaucaire à Aigues-Mortes. Une fois arrivé là, j'étais sauvé, car je pouvais suivre sans être vu cette tranchée. Je gagnai donc le canal sans accident. Ce n'était pas par hasard et sans préméditation que j'avais suivi ce chemin ; j'ai déjà parlé à Votre Excellence d'un aubergiste de Nîmes qui avait établi sur la route de Bellegarde à Beaucaire une petite hôtellerie. [1][2][3]
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